Bonjour à toutes et à tous, aux lecteurs et auditeurs du blog de NaturalPad. J’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui Nancy Rodriguez, qui vient nous parler des ses travaux notamment sur la réalité virtuelle. Bonjour Nancy

Bonjour

Merci de consacrer un peu de votre temps au blog de NaturalPad. Vous êtes enseignante-chercheuse à l’université de Montpellier et vous avez publié plusieurs travaux sur la réalité virtuelle et augmentée. Est ce que vous pouvez nous en dire plus?

En effet je suis enseignante-chercheuse, mes travaux de recherche se situent au LIRMM, le Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier et je travaille sur la réalité virtuelle. L’idée de la réalité virtuelle c’est de pouvoir fournir à l’utilisateur un environnement créé par ordinateur. On va essayer de créer de l’immersion. Cela veut dire que la personne ne va plus percevoir le monde réel et on va lui donner des informations via ce monde virtuel. Quel est l’avantage de faire ça? On le voit actuellement avec cette pandémie, si on souhaite voyager ou aller à une exposition dans un musée, on peut recréer ce musée ou l’endroit que l’on veut visiter et ensuite l’explorer grâce à des capteurs, qui remplacent la souris, pour se déplacer par exemple, et à de l’affichage immersif. C’est -à -dire un casque que l’on va porter qui va nous permettre d’afficher ce monde virtuel. C’est la différence avec d’autres concepts que l’on entend souvent, comme la réalité augmentée ou la réalité mixte. Pour l a réalité augmentée, on peut citer Pokemon Go ou les filtres sur des applications comme Snapchat. On a une vision du monde réel et on superpose quelque chose dessus. Dans la réalité mixte, il n’y a pas que la superposition des objets réels et virtuels. Par exemple pour Pokemon Go, qui est de la réalité augmentée, on peut poser le Pokemon sur une surface, mais avec la réalité mixte, le Pokemon pourrait se cacher derrière les objets qui sont sur la table par exemple. Cela veut dire que l’objet virtuel, le Pokemon, a une connaissance des objets réels qui se trouvent dans mon environnement.

Pokemon Go

D’accord merci, c’est un bon exemple pour le grand public, c’est un logiciel qui avait beaucoup marché à sa sortie. Le concept de réalité virtuel passe-t’il forcément par le casque, comme ceux qu’on trouve sur le marché grand public?

Disons que c’est la manière la plus simple d’obtenir une immersion, mais on peut avoir d’autres types de dispositifs. En fait, les recherches ont commencé il y a une soixantaine d’années, en 1962. On commençait déjà à imaginer comment on pouvait donner accès à des environnements, principalement pour les militaires. Qu’ils puissent s’entraîner sur un environnement sans avoir à y aller et sans avoir de pertes, grâce à la simulation. C’est à partir des années 90, qu’on a introduit le concept de réalité virtuelle de bureau. Avant c’était dans des espaces prévus, des pièces très outillées afin de donner le stimuli nécessaire à l’utilisateur pour qu’il se sente immergé dans l’environnement. Depuis 2013/14, avec l’arrivée de l’Oculus on a maintenant la réalité virtuelle grand public.

Quelle différence y a-t’il entre les produits disponibles auprès du grand public et ceux que vous utilisez dans le cadre de vos recherches.

La différence la plus évidente, est la précision. Par exemple, pour le suivi de l’utilisateur. Généralement, dans les casques grand publics on a des manettes ou des contrôleurs qui sont très rapides et efficaces pour certaines applications, comme notamment les jeux. Nous, parfois, on a besoin d’une précision plus importante pour récupérer la position de l’utilisateur. Par exemple, j’utilise souvent le Trackir, c’est-à dire qu’on peut suivre le regard de l’utilisateur. Ces produits sont moins accessibles au grand public.

Je crois que sur certains jeux comme Elite Dangerous, le TrackIr commence à rentrer dans l’espace grand public.

Tout à fait, mais c’est principalement pour l’interaction. Cela veut dire que cela permet aux gens d’interagir avec leur environnement. Mais nous, de notre côté, on veut récupérer ces données pour analyser ce que les gens ont fait. De ce fait, on a besoin de plus de précision pour savoir où est ce qu’ils ont porté leur attention. Nous, on va créer un environnement où il y a plein d’éléments et à un moment donné on veut savoir pourquoi un élément a attiré plus l’attention qu’un autre. Il faut savoir qu’en réalité virtuelle, généralement, les personnes ont toute liberté d’aller où elles veulent et de regarder où elles veulent. A nous les créateurs de poser les éléments qui vont permettre à la personne d’aller là où il faut qu’elle aille, si elle a une tâche spécifique à réaliser.

Le TrackIR

Vous avez évoqué tout à l’heure l’année 1962 comme une date des premières recherches autour de la réalité virtuelle. Pour le grand public c’est assez surprenant alors qu’on n’a pas vu ces concepts arriver avant les années 80-90. C’est quoi selon vous les grandes dates de l’évolution de la réalité virtuelle dans la recherche ?

En 1962, un système est apparu appelé Sensorama. Le but de ce système était de créer un environnement immersif dans lequel il y avait du mouvement. La personne était sur un fauteuil avec une sorte de borne interactive devant les yeux qui lui permettait de voir en 3 dimensions, d’entendre en stéréo, et de ressentir du mouvement, des odeurs etc…C’était une première démonstration de comment créer des environnements virtuels. Après, de 1965 à 1968, Ivan Sutherland, qui est très connu dans le monde de la réalité virtuelle, a commencé à tester des casques. C’était des appareils avec déjà un écran par œil et qui permettait de superposer des objets. Il s’agissait donc plus de réalité augmenté. Ces objets étaient très simples, comme des carrés. Nous n’avions pas à l’époque la capacité de calcul et de rendus que nous avons actuellement. Les carrés apparaissaient devant les yeux, et intégrés au monde réel. Ces dispositifs étaient évidemment très lourds à ce moment-là. Ils étaient même attachés au plafond pour que l’utilisateur n’ait pas à porter le poids entier du casque.

Le Sensorama (source Wikipedia)

Ensuite dans les années 70, les militaires ont commencé à créer des cockpits virtuels, liés à des simulateurs pour permettre d’apprendre les commandes, la manière de se poser par exemple, pour un avion. En 80, on a vu le début des contrôleurs comme les gants de données (data gloves). Un gant que l’on va porter comme un gant normal avec des capteurs qui permettent de savoir comment la main et les doigts sont en train de bouger. En réalité virtuelle, la métaphore de la main virtuelle a toujours été importante car l’idée est d’avoir une interaction la plus naturelle possible. C’est aussi dans les années 80 qu’on a commencé à utiliser le terme réalité virtuelle.

Le terme n’est apparu qu’à partir des années 80?

Tout à fait, même si la notion existait avant, le terme est apparu dans les années 80. Après, dans les années 90, on a commencé à voir des choses à des coûts plus bas, même si c’était encore très onéreux. Les premiers vrais systèmes de réalité virtuelle avec un ordinateur de bureau, un casque et des gants, il fallait compter 150 000$. Par rapport à aujourd’hui où l’on peut trouver un Oculus à 400€, le chemin est impressionnant. On a introduit en 92, la notion de pièces aménagées avec des murs pour la rétroprojection. La personne peut se balader dans la pièce, on récupère sa position grâce à des lunettes, et elle va pouvoir explorer l’environnement en marchant de façon normale. Et maintenant, les années 2000, et particulièrement les années 2013-14 avec l’arrivée de l’Oculus, on a des solutions qui sont plus légères. Autonomes maintenant, cela veut dire que les casques n’ont pas besoin d’être branchés sur ordinateur. Cela va alléger les endroits dans lesquels on peut utiliser le système et les rendre mobiles.

Tout à fait, notamment avec les derniers modèles d’Oculus, le Quest qui permettent de ne plus être dépendant d’un ordinateur.

On peut également parler de Google Cardboard, qui était aussi quelque chose de très simple. Un simple casque en carton dans lequel on glisse le smartphone et on va se servir des capteurs du téléphone pour montrer une réalité virtuelle “low-cost” et facile.

Je vous remercie, pour revenir à vous même sur quoi travaillez vous et pouvez vous nous parler de la nature de vos travaux avec NaturalPad?

Je travaille sur plusieurs choses actuellement. En ce qui concerne la réalité virtuelle, il y a deux axes. Le premier est tout ce qui concerne les visites virtuelles. La réalité virtuelle est tout adaptée pour créer des visites sur les lieux où le grand public ne peut pas rentrer. Par exemple nous avons fait une visite virtuelle d’un refuge pour animaux sauvages. Les propriétaires voulaient montrer leur travail mais le public ne peut pas y accéder sans mettre les animaux en condition de stress. L’autre, est une visite virtuelle de la centrale thermique d’Aramont, qui doit être démantelée prochainement. Mais nous avons envie de garder ce patrimoine industriel qui est important pour la région. Nous sommes en train de compléter une visite virtuelle de cet endroit.

Du côté de NaturalPad, nous travaillons depuis plusieurs années sur un simulateur de conduite de fauteuil roulant pour des enfants polyhandicapés. Ce qu’il va permettre, c’est de tester en simulation un parcours sans avoir besoin d’utiliser le vrai fauteuil roulant. Il faut savoir qu’utiliser un fauteuil roulant pour les enfants polyhandicapés, crée beaucoup d’émotions et donc ce n’est pas facile de s’habituer sans avoir des soucis comme taper une porte, ou être bloqué quelque part. Nous voulons fournir cette simulation et cet affichage en réalité virtuelle pour qu’ils puissent mieux appréhender cette étape de leur autonomie.

Nancy merci beaucoup d’avoir consacré votre temps au blog de NaturalPad et j’espère à très bientôt.

A très bientôt