Dès le soir de mon arrivée à Oslo je m’étais programmé (à nouveau) un Meetup avec des développeurs indépendants mais Norvégiens cette fois-ci. Parmi les rencontres intéressantes : Mark Courtney Francombe, un expatrié Britannique plein de piercings pour qui “l’art est tout ce qu’on fabrique dans le seul but de s’amuser”; Nicolaas Ervik Groeneboom, docteur d’Astrophysique, philosophe romantique à fond dans la génération procédurale et la “Scène démo”; et Dylan Thomson, développeur Australien qui rêve d’acheter une maison au fin fond de la campagne Portugaise et d’y installer une boite de jeu indépendant 🙂
Ce voyage, que j’ai commencé à décrire dans un billet précédent, avait pour but final de m’amener à Trondheim pour la conférence SGDA 2013 : “Serious Games Development and Applications”. Ainsi après quelques jours à Oslo j’ai donc pris le train pour Trondheim, où “je” se dit “egg” et non “yai” (mais dans les deux cas ça s’écrit “jeg”, sinon ce serait trop simple).
La conférence SGDA est un évènement annuel (cette année était la 4e édition) qui rassemble toute une communauté de chercheurs, développeurs, game designers afin de collecter et diffuser des savoirs sur les serious games. À la SGDA on parle serious games appliqués à l’éducation et à la formation, serious games appliqués à la santé, aux soins, au management ou encore à l’industrie.
C’est est un moment de partage de théories et d’idées entre acteurs du serious game dans le monde.
Le papier que je suis allé présenter sous forme de poster, “Game design for all : the example of Hammer and Planks”, parle du décalage entre les jeux dits “grand public” et les serious games. On ne trouve que quelques rares exemples de serious games (par exemple Cellcraft, America’s Army, Decomcracy) où le joueur moyen y jouerait par choix, ce qui rend difficile voire impossible les études à grande échelle.
Les serious games pour la santé comme Hammer and Planks utilisent les ressorts ludiques du jeu vidéo pour garder l’implication et l’intérêt du patient face à ses exercices. Mais si le jeu se résume à un “jeu pour malade” on perd l’un des ressorts les plus puissants : le facteur social. Nous émettons comme hypothèse que c’est en jouant avec ses amis et avec sa famille qu’on est le plus impliqué dans une expérience interactive : ainsi “Game design for all” prend tout son sens 🙂
Il serait difficile de résumer SGDA en un billet court. Globalement je peux dire que ça m’a énormément plu : l’ambiance était très riche et les discussions et débats ont continué chaque soir jusqu’à minuit passé. Parmi les paraphrases qui m’ont beaucoup marqué :
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“En informatique on parle de passer du produit au service : de même en éducation où il faut passer de la connaissance au raisonnement” – Simon McCallum
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“Pour réussir dans le monde des affaires la meilleure stratégie consiste à trouver quelqu’un avec beaucoup d’argent et de leur faire faire d’avantage d’argent.” – Simon McCallum
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“Les ordinateurs reconnaissent plus rapidement les émotions simples, comme la tristesse ou le bonheur, que les humains.” – Olav Brenna Hansa »
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“Plus le QI de base d’une personne est élevé, plus sa démence est diagnostiquée tard et donc moins les traitements sont efficaces.” – Simon McCallum
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“Parfois un déclin de compétences perçues correspond à une prise de recul et une mise en question de préjugés” – Igor Mayer
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“Aux États Unis 60% des enfants en 4ème arrêtent les mathématiques et en 3ème 31% de ceux qui restent arrêtent” – Manuel Oliviera
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“Pour les nouveaux nés un magazine est un iPad qui ne fonctionne plus” – Manuel Oliviera
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“La conception d’un jeu éducatif n’est qu’une petite partie du travail : on oublie souvent qu’il faut penser à sa mise en pratique, qu’on pourrait appeler ‘conception didactique’” – Thomas Duus Henriksen
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“On ne peut pas parler d’engagement d’un joueur dans l’absolu : il faut faire la différence entre engagement avec le jeu en tant que spectacle et en tant que système formel” – Simon McCallum
Le dit Simon McCallum m’a particulièrement impressionné : professeur Néo-zélandais habitant au Norvège il a été figurant dans Le Seigneur des Anneaux et a construit des trébuchets grandeur nature pendant son temps libre. Dans son keynote il a essayé d’expliquer pourquoi on voit tant de mauvais serious games – car si il y a un grand nombre de prototypes prometteurs, peu survivent à “la vallée de la mort” de la mise en production et sont souvent morts-nées :
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Les gouvernements donnent leurs subventions à ceux qui écrivent les meilleurs rapports. Ils ne savent généralement pas évaluer un jeu, mais ont des spécialistes pour évaluer un contenu “sérieux”.
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Les académiques ont une tradition écrite donc ils savent écrire un bon rapport, mais ne savent pas concevoir un bon jeu derrière et n’ont pas d’expérience de “la vallée de la mort” car ils sont isolés dans une “tour d’ivoire”.
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Les développeurs jeux ont une tradition orale et tendent à être anarchistes, donc ils ne savent pas écrire un bon rapport et ne font pas confiance aux subventions.
Il promeut un meilleur rapprochement entre l’industrie du jeu vidéo “grand public” et du serious game et un meilleur partage de compétences. Ça vous rappelle quelque chose ? 😉
L’expérience étant donc source d’inspiration et d’espoir : il est clair que nous ne sommes pas les seuls à parler de “Game Design for all”, d’avoir comme ambition de faire du jeu plus qu’un amusement et du serious game plus qu’enseignement littéral. On rejoint ainsi un débat plus global autour de l’éducation au 21ème siècle, mais je ne vais pas m’y attarder.
Dernière anecdote par contre : en rentrant par le biais du Danemark j’ai pu passer quelques temps avec Henrike Lode qui développe Machineers, jeu pour apprendre les concepts de la programmation aux enfants de façon ludique. C’est un exemple parfait d’enseignement figural plutôt que littéral : si tous les concepts y sont (itération, récursive, mémorisation, etc), ils sont cachés derrière les mécanismes du jeu.
C’est en manipulant ces mécanismes qu’on arrive à une compréhension intuitive du contenu sérieux.