La version audio ici :

Bonjour Anaïs, merci de consacrer ton temps au blog de NaturalPad, tu es diplômée de l’Université de Paris Créteil et tu es ici pour nous parler notamment de ton mémoire “Dites Wii à la thérapie”. Que peux-tu nous en dire?

Pour la fin de mes études, nous devions faire un mémoire de recherche et j’avais envie de travailler sur l’utilisation des nouvelles technologies, notamment des jeux vidéo et de la réalité virtuelle pour la rééducation, qui étaient en train de se développer mais pas encore très présentes dans les centres de rééducation à l’époque où je faisais mon mémoire. Donc je me suis questionnée sur ce qui existait et ce que l’on pouvait utiliser. Notamment, dans le lieu où j’ai fait mon stage, certaines structures avaient la Wii. C’est un outil qui a ses limites, du coup j’ai voulu travailler pour voir ce qui pouvait être fait, adapté aux  objectifs de thérapeutes et aux objectifs des personnes suivis par les thérapeutes. Quels étaient les apports pour le patient, l’utilité, le sens… Ces réflexions ont amené à ma rencontre avec NaturalPad et à la création d’un jeu qui a été testé en centre de rééducation pendant 2 mois

Le jeu en question, c’est Hammer & Planks, un jeu faisant partie de la solution MediMoov actuellement qui tourne actuellement avec le Kinect. Tu as donc contribué à la création de ce titre?

Tout à fait, j’ai rencontré Antoine Seilles, le PDG de NaturalPad qui était intéressé par mon projet et m’a proposé de collaborer avec eux en créant la première version d’un jeu, où j’ai donné mes besoins en terme de rééducation puis ensuite tester ce premier niveau dans un centre de rééducation afin de voir ce que cela pouvait apporter. Cela permettait dans un premier temps de développer ma recherche et dans un deuxième temps pour la société NaturalPad travailler avec des soignants afin de développer une solution réelle pour les patients.

On est sur quel type de public au niveau de la rééducation?

Lors de mon mémoire, j’étais parti sur un public adulte et âgé. La structure où j’ai effectué mon stage accueillait un public de plus de 50 ans en moyenne ayant des atteintes neurologiques, principalement des hémiplégies dues à des AVC et d’autres symptômes associés. A la base, nous étions donc sur un travail basé sur l’équilibre, via la Wii comme c’était un outil présent dans la structure où j’ai effectué mon stage. Facilement utilisable et souvent présente dans les centres de rééducation. On a donc commencé sur cet outil là, le problème étant que les jeux sur la Wii ne sont pas forcément adaptés à la rééducation. Ce sont la personne et les soignants qui doivent s’adapter aux jeux, ce dernier étant limité dans ses options de par son statut de jeu et non d’outil de rééducation.

On va préciser qu’il s’agit de la console Wii de Nintendo, associée à son périphérique le Wii Balance Board. Je le précise car actuellement NaturalPad utilise sa solution MediMoov avec le Kinect, une caméra de capture de mouvement. Mais au départ Hammer & Planks a été conçu avec le Wii Balance Board. Pour rappel le Wii Balance Board est une planche posée au sol pour effectuer divers exercices notamment avec Wii Sports (NDLR : le jeu utilisé était en fait Wii Fit).

En effet, nous avons utilisé ce qui était disponible et facile d’acquisition afin d’avoir une solution rapide pour commencer à faire des tests. Nous sommes donc partis sur un outil facilement utilisable avec d’autres jeux que les jeux Wii, permettant de travailler l’équilibre et d’avoir une cartographie des mouvements de la personne sur la Wii Balance Board de son passage de poids d’un pied à l’autre. Dans l’hémiplégie, le patient est atteint de paralysie d’un côté du corps, que ce soit sur les membres supérieurs ou inférieurs. Donc le travail consistait à se dire : “Il faut qu’il rééduque l’utilisation de son membre atteint, et dû à sa paralysie va mettre moins de poids qu’habituellement et avoir un équilibre insuffisant pour pouvoir marcher et se déplacer en sécurité.” C’était le besoin pour la rééducation.

Avant d’aller plus loin, concernant la Wii et le Balance Board dans le milieu de la rééducation et de l’ergothérapie. Qu’ont elles apportées et pourquoi elles se sont révélées être un outil intéressant pour les soignants?

Dans les endroits où j’ai été présente en stage et où j’ai pu observer l’utilisation de cet outil, l’aspect intéressant est principalement le côté ludique de la rééducation. En ergothérapie nous faisons de la rééducation pour que la personne retrouve son autonomie dans la vie quotidienne par le biais d’activités. Cela va des jeux, de la menuiserie, du macramé…plein de choses pouvant avoir du sens pour la personne. Mais nous n’avions pas forcément un outil utilisable à souhait, au bout d’un moment les patients peuvent s’ennuyer, ne pas apprécier ou comprendre tel ou tel outil qui ont un intérêt dans nos objectifs. Du coup, la Wii nous permettait d’avoir un outil différent de l’habitude avec ce côté ludique qui permet à la personne d’oublier qu’elle est en rééducation. Elle permet également d’avoir des scores, donc de voir ses évolutions notées et un retour visuel des mouvements qu’elle réalise. Par exemple sur le jeu de tennis de la Wii (NDLR Wii Sports), si la personne fait un mouvement pas assez rapide ou pas assez ample, la Wii va le traduire par une absence de mouvement ou la balle n’ira pas assez loin. Elle va donc comprendre que le mouvement qu’elle réalise ne fonctionne pas. Lors d’une paralysie ou un trouble physique, les personnes n’ont pas forcément conscience du mouvement qu’elles réalisent et doivent le réintégrer dans l’image de leur corps, leur schéma corporel. Cependant cela reste un jeu, les personnes n’ont parfois pas suffisamment de capacités motrices pour utiliser le jeu et vont se retrouver en situation d’échec alors que pour nous thérapeutes, le mouvement réalisé est suffisant par rapport à son état actuel.

Un autre problème, notamment pour la Wiimote, concerne les boutons du contrôleur à actionner en même temps qu’on demande de réaliser un mouvement. Cela demande une maniabilité importante. Parfois, les patients ont la possibilité d’exécuter le mouvement de tennis, par exemple, mais l’utilisation du bouton demandant d’autres muscles et d’autres connexions neuronales va le rendre impossible. Il peut y avoir des limites à l’utilisation de ces jeux en tant qu’outil pour certaines pathologies.

Il y également je crois un problème lié à l’équilibre. En fonction de l’état de la personne et de sa mobilité ce n’est pas forcément évident de monter sur une planche ne serait-ce que de quelques centimètres.

Tout à fait. J’avais noté que certains de mes patients lors de mes essais utilisaient un guidon de transfert (une structure posée au sol sur laquelle reposait le balance board au sol avec un retour haut au niveau du corps pour se retenir et être en sécurité), car le seul fait d’utiliser cette planche représentait quelque chose de compliqué. Cela peut s’avérer difficile d’utiliser cette planche assez étroite où les pieds doivent être positionnés d’une certaine façon afin de ne pas modifier la force d’un côté ou de l’autre. Par exemple dans le cas d’Hammer & Planks où l’utilisateur incarne un bateau naviguant sur l’eau, si la personne est plus à droite de la planche, même en mettant de la force à gauche, le bateau naviguera quand même vers la droite.

Concernant ces limitations de la Wii, vois- tu d’autres choses que tu voulais citer?

Une des autres limites que j’ai constaté lors de mon travail avec NaturalPad concerne les graphismes qu’on ne peut pas modifier sur la Wii en fonction de la personne. Comme je l’ai évoqué, j’ai testé ce dispositif sur des personnes atteintes d’hémiplégie, due à un AVC. Ce ne sont malheureusement pas les seuls symptômes que les personnes peuvent avoir. Un AVC peut entraîner des symptômes cognitifs ou visuels. Si les informations visuelles sont trop riches, les patients vont se retrouver perdus, alors qu’ils ont la capacité corporel de réaliser l’exercice. Donc le fait de ne pas pouvoir modifier les graphismes pour les rendre plus simples est une limitation. 

Un autre problème rencontré a été de ne pas pouvoir adapter la Wii en fonction des capacités de la personne. Par exemple dans le cas d’une personne atteinte d’hémiplégie gauche, elle sera limitée dans ses mouvements sur sa partie gauche alors que son autre pied sera beaucoup plus mobile. Il faut donc amener la personne vers un mouvement qui fera plus travailler le côté touché. Mais il faut également que le mouvement du pied atteint soit moins important que le pied valide car elle n’ est pas capable de mettre le même poids. Il y a avait donc également ce besoin qui était limité par l’apport des jeux disponibles sur la Wii mais qui était possible en créant un nouveau jeu en utilisant la Wii Balance Board.

En faisant en sorte que le jeu s’adapte à l’utilisateur, si je me permets de résumer, contrairement à un jeu déjà développé.

Tout à fait, pour les jeux déjà disponibles (pour la Wii), le joueur doit s’adapter à la difficulté parfois croissante. Le but de la rééducation c’est le contraire. Quand on est rééducateur, on adapte nous-même notre travail d’ergothérapeute mais aussi de kiné, nos outils ainsi que les exercices proposés, aux capacités de la personne et progressivement augmenter la difficulté par rapport à son évolution, pour ne pas qu’elle reste en situation d’échec. Il faut avoir cette possibilité, que la personne voit une progression par rapport à ses propres capacités. Chaque patient est différent, récupère plus ou moins vite, en fonction notamment des troubles qui sont associés, qu’ils soient cognitifs, sensitifs et qui vont avoir une influence sur la qualité de l’exercice.

Revenons-en au développement d’Hammer & Planks. Quels sont les enseignements que tu as tiré de ton travail avec NaturalPad?

Premièrement j’ai découvert cet univers de création. Je suis à la base joueuse de jeux vidéo, notamment avec mes frères mais je n’avais jamais vu comment se créait un outil plus poussé. C’était intéressant de voir ce qui était possible à NaturalPad de créer par rapport à ce dont j’avais besoin dans la rééducation. C’était également très enrichissant dans ma pratique de pouvoir tester un nouvel outil et de voir quels effets pouvait apporter cet outil à la rééducation des personnes, à leur moral, à leur motivation. Lorsque on apprend le métier, on utilise des outils qui existent parfois depuis très longtemps, qui ont été déjà évalués, normés. Cela m’a permis de découvrir un autre champ qui n’était pas encore trop exploré dans ma pratique et qui m’intéressait personnellement. 

Actuellement, par rapport à l’évolution des technologies et du gaming, notamment des casques de réalité virtuelle, existe t’il des évolutions qui te font entrevoir des débouchés intéressants dans la discipline de l’ergothérapie?

Tout à fait, lors de l’écriture de la conclusion de mon mémoire, j’ai travaillé avec un public assez âgé, parfois jusqu’à 80 ans. Je n’avais qu’une seule personne de 45 ans qui était familier avec le jeu vidéo, les autres ne savaient pas ce que c’était, et pourtant tous ont pris du plaisir et apprécié l’outil. J’ai constaté également une évolution différente par rapport à d’autres outils. J’étais contente de constater que l’outil n’était pas cantonné à une seule catégorie d’âge. Cela montre qu’il peut être intégré autant avec des enfants qu’avec des personnes âgées. 

Sur les technologies actuelles, des choses ont elles retenu ton attention dans le milieu médical ou vidéo-ludique? 

J’ai constaté que beaucoup d’entreprises s’étaient développées autour de la création de jeux thérapeutique ou serious. Que ce soit dans la rééducation ou l’information. Ce n’était pas tant le cas à l’époque (NDLR : de la création d’Hammer & Planks – 2013). De nombreuses recherches ont démontré l’intérêt positif. On voit aussi l’utilisation des casques de réalité virtuelle, notamment pour les personnes atteintes de troubles cognitifs. Je pense notamment aux personnes ayant besoin de tester certaines pratiques avant de les réaliser dans le monde réel. Dans ce contexte, les casques peuvent avoir un impact positif. Par exemple les personnes ayant des problèmes sociaux, comme la gestion de l’argent. Pour ne pas les mettre en danger dans le monde réel, ils peuvent expérimenter ces pratiques en virtuel. Ces outils ont la faculté d’être très immersifs, et de plus en plus réalistes et détaillés. Je reprends mon exemple des difficultés avec l’argent, je vais utiliser des faux billets et de la fausse monnaie, mais parfois la personne n’arrive pas à le transposer dans le monde réel. Lors d’un exercice avec moi, ils vont savoir payer, rendre la monnaie…mais une fois au supermarché, ils sont complètement perdus car ils ne reconnaîtront plus les jouets qu’ils utilisaient lors de la simulation, ajoutés au stress de la réalité. Donc pouvoir créer un système que l’on va qualifier dans le jargon de plus “écologique” possible. C’est-à-dire dans l’environnement de la personne. Parfois on ne peut pas être dans l’environnement de la personne donc on va essayer de le recréer au mieux et ces outils le permettent.

Quels sont tes projets actuellement?

Mes projets sont de retrouver un emploi dans la région de Montpellier et je continue de suivre l’évolution des nouvelles technologies pour ma pratique. Je m’oriente principalement sur la rééducation et je suis convaincu que le serious game est un outil très intéressant. Je suis toujours contente de pouvoir apporter ma contribution aux développeurs de serious game pour permettre d’avoir un outil adaptable que ce soit pour les rééducateurs et pour les patients.

Merci beaucoup Anaïs de ta contribution au blog de NaturalPad.