La version audio ici :

Bonjour à tous et à toutes, Bienvenue au lecteur/auditeur du blog de NaturalPad, j’ai la chance de recevoir aujourd’hui Jérôme Dupire en direct (l’interview a été réalisé lors d’une intervention commune de NaturalPad et Capgame auprès de l’ESAT Jackie Kennedy de Montpellier).

Bonjour

Merci de consacrer ton temps au blog de NaturalPad. Tu es, je crois, enseignant à l’ENJMIN…

Je suis enseignant-chercheur au conservatoire national des arts et métiers. Et en effet on a en charge l’ENJMIN (Ecole Nationale des Jeux et Médias Interactifs Numérique à Angouleme) depuis 17 ans maintenant. On intervient avec quelques collègues et des professionnels du jeu vidéo en tant que prof pour former les masters jeu vidéo sur 5 spécialités différentes, allant du producer, game designer, graphiste, sondiers etc…

Merci de préciser. Tu as récemment obtenu le titre de directeur de recherche. On a pu suivre l’évènement sur la chaîne twitch de ton association CapGame.

Oui en effet. C’était un très joli moment. L’habilitation a diriger des recherches est un passage, pas obligatoire mais une sorte de rite initiatique pour obtenir un statut entre le maitre de conférence et le statut potentiel de professeur d’université qui sont les deux grades qu’on peut avoir à l’université en tant qu’enseignant-chercheur. Le second étant accessible uniquement si on passe cette habilitation à diriger des recherches. C’était un sésame nécessaire, qu’on a longtemps repoussé et qu’on a enfin finalisé la semaine dernière.

Est-ce que tu peux nous parler de CAPGAME, l’association dont tu es le président?

Capgame est en effet un association “loi 1901” classique, qu’on a crée en 2013 avec 3 autres personnes qui elles-mêmes gravitaient autour du milieu handicap/accessibilité numérique  dans le périmètre de l’AFM/Téléthon. La motivation de départ entre nous partait d’un double constat : le premier est que des logiciels et matériels étaient disponibles pour les joueurs et joueuses en situation de handicap, déjà à l’époque, mais ces matériels et logiciels n’étaient pas du tout connus, ni diffusés. C’était des développements de niche, voire individuels, pas du tout développés par les grandes firmes. Malgré cette existence, il y avait un problème de lien entre ceux qui en avaient besoin et ce qui existait. On a  donc décidé de créer l’association pour pallier ce manque de connexion entre les utilisateurs et utilisatrices finale en situation de handicap et les matériels et logiciels disponibles pour faciliter l’accès au jeu vidéo. La deuxième motivation à l’époque était de travailler sur une forme d’auto-censure qui existaient chez les personnes en situation de handicap par rapport au jeu vidéo qui se disaient, et se disent toujours d’ailleurs pour une partie d’entre elle : parce qu’elles sont en situation de handicap, elles n’ont pas accès au jeu vidéo, parce que le jeu vidéo est trop riche, trop complexe, trop rapide etc…alors que le temps passant les choses sont de plus en plus accessibles et les passerelles existent.

Quelles sont concrètement les actions effectuées au titre de l’association?

En 2013, c’était vraiment progresser sur cette lacune de communication. On a principalement agi sur l’activité de veille technologique. C’est -à -dire de recenser ce qui était disponible à un certain moment et le mettre en forme au travers d’un site web et le diffuser au plus large public possible.

Pour préciser à nos lecteurs/auditeurs, vous gérez le site CapGame mais également le site GameLover.

Game Lover est un léger problème de communication. GameLover nous a rejoint en 2016, mais à proprement parlé GameLover n’existe plus en tant que telle, maintenant c’est CapGame testing. C’est un des axes de CapGame qui est venu compléter depuis 2017 l’axe historique de veille technologique qu’on appelle solutions. Donc aujourd’hui on a cet axe “historique” solutions qui permet d’identifier les logiciels et matériels disponibles, de proposer des vidéos, des fiches techniques pour permettre à tout à chacun de s’approprier les connaissances autour de ces aides techniques. Comment ça marche, pour quel type de jeu, est-ce que ça correspond à mes besoins en tant que personne en situation de handicap? Sur quels critères? Où est-ce que je l’achète? etc… 4 autres axes sont venus compléter cet axe de veille technologique. L’axe testing, donc, qui était constitué par GameLover, qui nous a rejoint et qui a fourni une activité de testing sur les jeux vidéo grand public par rapport à ces critères d’accessibilité. En gros, est-ce que le jeu qui vient de sortir va être jouable par des personnes qui n’ont qu’un bras ou qui voient moins bien que ce qu’on attend d’une personne “standard”? Y-a t’il la possibilité de rebinder (réattribuer) les touches? Tous les critères d’accessibilité qu’on connaît et que l’on maîtrise sont passés au crible et on regarde quel est le niveau d’accessibilité de tel ou tel jeu. C’est donc l’activité de testing, le deuxième axe de l’association. Le troisième étant un axe de consulting destiné soit aux professionnels du jeu vidéo, soit du médico-social et qui nous permet de proposer un accompagnement, des formations voir du consulting classique en mettant à disposition des experts dans des productions de jeu vidéo. Cela va permettre à ces professionnels de monter en compétence et d’essayer d’améliorer l’accessibilité dans leurs jeux vidéo et de capitaliser avec le temps sur des pratiques qui sont plus compatibles avec la diversité des utilisateurs/trices qu’on peut rencontrer aujourd’hui. Le quatrième axe de CapGame est un axe de recherche  et développement. On a quelques chercheurs au sein de l’association dont c’est le “vrai métier dans la vraie vie” qui sont capables à partir d’une situation de blocage identifié, de déclencher une réflexion, des travaux, voir de prototyper des choses qui permettent de commencer à apporter des solutions par rapport à ces blocages identifiés. Et le dernier axe assez inattendu pour nous et pourtant évident est l’axe E-sportif, la pratique compétitive des jeux vidéo et la question de quelle place on aménage et quelles possibilités pour les joueurs en situation de handicap qui aimeraient avoir accès à cette pratique compétitive. Comment ça se traduit, comment on les inclus dans les compétitions actuelles, comment on peut créer des environnements dans lesquels les joueurs en situation de handicap et joueurs “valides” peuvent concourir ensemble les uns contre les autres sans que les questions d’équités soient altérées. Ce sont les 5 axes de l’association dans lesquels l’association travaille.

C’est une des raisons pour laquelle tu es là aujourd’hui. Tu es venu pour nous apporter ton expertise sur le développement?

C’est effectivement une des possibilités qu’offre l’association. Accompagner les professionnels du jeu vidéo, les éditeurs, les développeurs dans les bonnes pratiques à adopter pour faire en sorte que les jeux développés ne soient pas exclusifs. Globalement l’exclusion qui intervient dans les jeux vidéo notamment par rapport aux personnes en situation de handicap n’est pas volontaire. Les studios ne se disent pas “les personnes handicapées, on s’en fout on les aime pas etc…”. Ce n’est pas le sujet. La quasi-totalité des situations proviennent d’une méconnaissance des situations de handicap, de la population des personnes en situation d’handicap, une méconnaissance des alternatives à l’accès au jeu vidéo. Donc on a en effet aujourd’hui travaillé sur les développements de NaturalPad pour voir quels étaient les correctifs qui étaient raisonnables ou importants d’apporter de façon quasi incontournable. Et  les choses intéressantes à mettre en place si le temps et les moyens le permettaient. Cette démarche d’accompagnement, entre la pédagogie et le consulting industriel classique va nous permettre de faire monter en compétence les gens, de leur faire prendre conscience des connaissances de ces situations d’utilisateurs/trices qui n’étaient pas trop pris en compte jusqu’à présent pour provoquer des petits pas de côté dans les habitudes de développement et de design. Ces habitudes vont permettre de récupérer ces gens qui sont laissés pour compte.

Justement par rapport aux développement des gens à venir, quels sont les axes selon toi vers lesquels les développeurs doivent travailler pour améliorer l’accessibilité?

Il y a deux réponses à cette question. La première est évidente pour les personnes travaillant autour de l’accessibilité dans le jeu vidéo. Il y a 3 sujets “macros” aujourd’hui qui semblent se répéter indépendamment des pays et des cultures. La question des sous-titres : arriver à une qualité de sous-titrage et d’adaptabilité des sous-titre qui soit suffisante pour que les personnes avec des capacités très différentes puissent tout de même avoir accès à l’information passant par le texte. 2 La capacité de rebinder les touches, ré-affecter les interactions dans le jeu de manière libre, complètement libre. Ne pas imposer un setup “en dur” dans le jeu mais laisser cette souplesse à l’utilisateur/trice de choisir elle/lui-même sa configuration optimale. 3 La question du daltonisme et de la perception des couleurs. Prêter une attention particulière aux problématiques qui peuvent être associées à une perception des couleurs différentes de celle qu’on a l’habitude de traiter de manière standard. Faire en sorte que les informations du jeu ne passent pas uniquement par le canal colorimétrique mais qu’il y ait des alternatives qui ne mettent pas en péril les personnes qui ont cette perception différente. C’est ce qui est globalement admis au niveau mondial au niveau de l’accessibilité pour être les 3 critères les plus prégnants. La deuxième partie de la réponse, au-delà de cette trinité communément admise, on n’ a pas forcément une grande connaissance des besoins et des profils de la population en situation de handicap joueuse ou potentiellement joueuse. Donc nous avons lancé avec CapGame une étude, francophone, qui vient compléter des initiatives anglophones faite par des associations ami comme able gamer et l’université d’York il y a deux ans. Qui a pour objectif, d’objectiver les besoins, les profils, les habitudes, les blocages, que rencontrent les populations en situation de handicap par rapport aux jeux vidéos. Essayer de voir quelles sont les priorités, les demandes les plus pressantes et ce pour orienter l’action qu’on peut avoir par rapport aux industriels du jeu vidéo et les guider vers les bonnes priorités et les bonnes montées en compétences pour répondre au plus vite à ces besoins.

Jerome, je te remercie, notre entretien touche à sa fin. Je me permets de rappeler à nos auditeurs/lecteurs de ne pas oublier d’aller voir notre article sur l’accessibilité qu’on a publié précédemment pour aller un peu plus loin. Avant de se quitter, quels sont les gros chantiers pour CapGame?

Les gros chantiers pour CapGame, c’est de diffuser la pratique du jeu vidéo dans un maximum de situations qui ne sont pas encore forcément acculturées au jeu vidéo pour des raisons assez variées qui peuvent être le manque d’appétence ou le manque de moyens. Amener le jeu vidéo au plus proche des utilisateurs, par exemple dans les établissements du médico-social, dans les associations, les foyers, les chaumières des uns et des autres pour faire en sorte que cette pratique autour d’un élément culturel majeur, puisse être aussi diffusée auprès des populations qui jusqu’à aujourd’hui étaient plutôt exclues de cette dynamique et de leur permettre de bénéficier de tous les avantages et les plus-values du jeu vidéo. Déjà, l’amusement , le plaisir, l’interaction avec les autres personnes. C’est important pour des personnes qui sont en situation de handicap qui pour certaines d’entre elles ne peuvent pas se déplacer et qui ont des interactions sociales limitées. Je ne parle même pas de la situation actuelle autour du Covid. Avoir ce jeu vidéo, avoir accès à ces communauté de joueur/euse, d’avoir ces expériences de jeu multijoueur, c’est une fenêtre ouverte sur le monde qui a une importance énorme et qui est encore aujourd’hui méconnue d’une partie d’entre elles. Vraiment, c’est amener la pratique du jeu vidéo dans des contextes tout à fait safe et nominaux sans tomber dans les  excès. Au moins amener cette connaissances de la pratique et de la diversité des offres que propose aujourd’hui le jeu vidéo pour permettre à tout à chacun de se faire plaisir et d’interagir avec des gens.

Jérôme,  merci beaucoup d’avoir consacré ton temps au blog de NaturalPad