Il y a bientôt 15 ans, le fabricant Nintendo sortait sa nouvelle machine, la Wii. Toujours soucieux de se démarquer de la concurrence, cette dernière proposait des contrôleurs d’un nouveau genre, capable de saisir le mouvement de son utilisateur pour le restituer à l’écran. Des millions de joueurs habitués au confort de leurs pad, mais également des millions de personnes jusque là hermétiques au médium, se retrouvent devant leur téléviseur à mimer les gestes du bowling, du tennis, de la boxe, du tir ou de toute autre situation laissée à l’imaginaire des développeurs. Le succès devient phénomène de société, les ventes encore inégalées aujourd’hui et la face du jeu vidéo changée à jamais. Si des jeux reposant sur les mouvements des joueurs existaient déjà avant la Wii (les bornes d’arcades de sport et de danse ont connu un grand succès au Japon à la fin du siècle dernier), un terme lui sera définitivement associé aux yeux du grand public : le Motion Gaming, le jeu basé sur le mouvement. Dans la foulée de ce succès, tous les acteurs du marché vont proposer leur solution Motion Gaming et, à ce jour, il peut être pratiqué sur quasiment tous les supports existants.
La communauté scientifique s’empare également du sujet et les premières publications sur la “Wii Thérapie” font leur apparition dès 2008. Des études réalisées avec des patients en rééducation post-AVC ou en désintoxication montrent des résultats probants sur le déroulement de la thérapie. Le concept même de wii thérapie est à l’origine de la création de NaturalPad en 2013.
15 ans après le phénomène, certains acteurs de la presse vidéoludique (ici ou là) estiment que le soufflé du motion gaming est retombé et que ses glorieuses années sont déjà derrière lui. Cette idée reçue est-elle à l’épreuve des chiffres de ventes? Quelles sont les nouvelles manières de concevoir et de jouer en mouvement?
En parallèle, du point de vue scientifique, quelles influences ont eu les premières recherches sur la Wii Therapy et quels horizons ont-elles ouverte?
Le marché grand public
Les chiffres de vente de la Wii ont marqué l’histoire et conforté Nintendo dans sa place de leader du divertissement numérique. Voulant exploiter au maximum les capacités de sa machine, la quasi-totalité des jeux proposés utilisaient la technologie de capture de mouvement (pourtant faillible). Avec le temps, cette offre a fini par lasser une partie des joueurs “traditionnels”, les expériences de jeu étant pensées pour être pratiquées par le plus grand nombre. Un nouvel anglicisme est associé au nom de Nintendo : le casual gaming, à savoir un jeu praticable par tous dans le but de se divertir mais avec une notion de défi moins importante. La notion de jeu “casual” étant péjorative pour la communauté des joueurs chevronnés, aucune autre machine depuis la Wii n’a été entièrement consacrée au jeu en mouvement. Cependant tous les acteurs du marché ont tenté une réponse à la Wii de Nintendo. L’Eye Toy de Sony et le Kinect de Microsoft (utilisé actuellement pour la solution MediMoov) ont été les premiers périphériques à proposer une alternative à la Wiimote de Nintendo.
L’évolution des technologies et l’apparition de nouveaux périphériques, notamment les casques de réalité virtuelle, pour pratiquer le jeu vidéo ont radicalement changé la place du motion gaming dans le paysage vidéoludique. Très loin d’être amoindri, celle-ci s’est répandue sur tous les supports actuels avec plus ou moins de succès en fonction des investissements.
Après le phénomène sans précédent de la Wii, Nintendo a traversé une période moins glorieuse avec la Wii U avant de retrouver les records avec la Switch en 2017. La console à la fois nomade et sédentaire, embarque des technologies de capture de mouvement. La machine a été conçue pour proposer du Motion Gaming. Contrairement à son aîné, son offre ne se limite pas uniquement à celui-ci et la majorité du catalogue peut être pratiqué avec un contrôleur traditionnel. Si les premiers jeux consacrés au Motion Gaming ont connu un accueil mitigé (Arms, 1-2 Switch), le jeu de fitness Ring Fit Adventure fait partie des titres tristement étiqueté “jeu du confinement”, tant les commandes de celui-ci ont explosé durant la première période de confinement au printemps 2020. En 2018, le fabricant japonais se démarque une fois encore de la concurrence avec Nintendo Labo. Renouant avec son ADN de fabricants de jouets, Nintendo propose des boites remplis de…cartons. Exploitant au maximum les technologies embarqués dans la Switch, ces kits prédécoupés proposent de transformer votre console, en voiture télécommandé, en piano, en guidon de moto etc… Si les expériences sont très diverses et principalement destinées à un jeune public, celles-ci s’apparentent toute au motion gaming. Bien que proposant des expériences de jeu rudimentaire, le caractère à la fois innovant et simple du concept a rencontré un succès notable à sa sortie. A l’instar de ses concurrents, la consolé s’est désormais dotée d’une plateforme en ligne. La console permet de télécharger plusieurs dizaines de titres développés par des éditeurs tiers utilisant la capture de mouvements.
De son côté, Sony n’a rencontré qu’un succès d’estime de son périphérique motion gaming, le PS Move, jusqu’à l’arrivée de son casque de réalité virtuelle le PS VR en 2016. Plus abordable que ses concurrents, les deux combinés permettent d’immerger le joueur dans des environnements crédibles et d’y reproduire certains mouvements des bras. Le catalogue en ligne propose plus de 200 titres utilisant ces technologies combinées. Resident Evil 7 et Just Golf font partie des titres comptant le plus de téléchargements sur la plateforme de Sony, le Playstation Network.
Microsoft quant à lui, après avoir sorti la caméra Kinect pour la Xbox 360 en 2010 a continué de décliner son périphérique sur ses consoles suivantes ainsi que d’assurer une compatibilité sur les ordinateurs PC. La technologie, plus précise que ses concurrentes, mise en place par la firme de Redmond est cependant, à ce jour, la moins exposée. La faute à un catalogue particulièrement faible en interne reposant principalement sur les éditeurs tiers. Seulement une cinquantaine de titres sont actuellement disponibles sur la dernière console Xbox One.
Le marché PC de son côté accueille logiquement l’offre la plus large, les périphériques disponibles étant beaucoup plus nombreux que sur les consoles de salon. Casques de réalité virtuelle, webcam, kinect et tant d’autres permettent une multiplicité d’expérience pouvant être assimilé au motion gaming. Sur la plateforme Steam, plus de 4000 références de jeu pouvant être pratiqués en station debout sont disponibles. Précisons cependant que dans cet océan de titre, on retrouve beaucoup de “petits” jeux, ou “expériences” à destination des casques VR, vendus à très bas prix, et proposant un intérêt et une durée limitée. Le récent Half-Life Alyx fait partie des rares jeux dont les coûts de développements rivalisent avec les grosses productions traditionnelles.
Le foisonnant marché des smartphones et tablettes n’est évidemment pas en reste avec des milliers de titres à la qualité et la finition variable, disponible pour Android et Apple. Les coûts de développement réduits et la présence d’une caméra, d’un gyroscope et d’un GPS dans tous les téléphones et tablettes connectés font naturellement une plateforme de choix pour le motion gaming.
La multiplicité des supports et des périphériques a vu le motion gaming se répandre sur le marché vidéoludique de façon moins monopolistique qu’à l’époque de la Wii, mais ce dernier n’a pas perdu sa puissance économique pour autant. Les titres à succès ne sont plus l’exclusivité d’un fabricant en particulier, mais au contraire, les jeux qui ont su s’imposer sur plusieurs plateformes en même temps. Une franchise fait figure d’ogre en la matière : la série de jeux Just Dance. Porté par l’éditeur Ubisoft, apparu en 2009 sur Wii, le jeu de chorégraphies est désormais décliné sur toutes les plateformes évoquées précédemment. Chaque nouvelle itération fait généralement partie des meilleures ventes de fin d’année, s’ajoutant à un modèle économique très lucratif reposant sur l’achat de morceaux à l’unité.
Apparu en 2019, le jeu de rythme praticable en réalité virtuelle Beat Saber s’est imposé comme une des meilleures ventes dans sa catégorie pour PC et consoles. Le succès de son titre a amené le studio Beat Games à être racheté par le groupe Facebook via sa filiale Oculus (un des 3 acteurs majeurs du marché des casques actuellement) à la fin de l’année 2019. L’équipe de NaturalPad compte de fervents adeptes de ce titre ( voir vidéo).
Enfin, l’essor des jeux sur smartphones a vu l’apparition de titres d’un genre nouveau, qui eux aussi peuvent être assimilés à du Motion Gaming : les jeux de géolocalisations. Utilisant le GPS intégré aux smartphones, ces jeux vont demander à l’utilisateur de se déplacer pour atteindre ses objectifs. Lors de sa sortie en 2016, les médias sont en ébullition devant le phénomène Pokémon Go qui voit des milliers de personnes courir en même temps vers un point indiqué par le jeu pour attraper un Pokémon convoité. Si l’action de jeu (chasser le Pokémon) se déroule bien sur l’écran, le jeu aura amené l’utilisateur à sortir de chez lui et marcher parfois plusieurs kilomètres pour atteindre son objectif. Bien que le phénomène médiatique soit retombé, le jeu a signé une année 2020 record en franchissant le milliard en revenus générés.
A l’instar d’un marché du jeu vidéo toujours grandissant, le motion gaming reste un genre dynamique qui a su évoluer au fil des évolutions technologiques et des supports. Si la sortie de la console Wii a marqué une période forte pour le genre, la diversité des offres et des pratiques permettant aujourd’hui de bouger en s’amusant ne peut être perçue comme un déclin. De plus, certains marchés comme celui des jeux sur casques de réalité virtuelle, n’ont pas encore atteint leur pleine maturité et promettent au motion gaming un avenir radieux.
La recherche et le milieu médical
Fort des bases posées par l’arrivée de la Wii, et des nombreuses publications (lien à la fin de cet article), dès 2008 dans le milieu scientifique, le motion gaming s’est installé durablement comme sujet d’études. Les résultats significatifs obtenus ont ouvert le champ aux autres dispositifs techniques apparus à la suite de la console de Nintendo. Les casques de réalité virtuelle et la caméra Kinect sont les deux technologies les plus utilisées avec la Wii sur une grande variété de sujets. Cependant on peut citer la gestion de l’équilibre chez les personnes âgées, la rééducation post AVC, et la gestion de troubles neurologiques comme les sujets utilisant le plus régulièrement des dispositifs de Motion Gaming. Certaines de ces publications feront l’objet d’articles plus approfondis dans nos pages.
Cette reconnaissance scientifique a permis à la console Wii de s’implanter durablement dans différents services de santé comme les centres de rééducation ou les services pédiatriques. En France notamment, les EHPAD se sont massivement équipés de la console de Nintendo. Fort d’une expérience de terrain de plusieurs années, les équipe de NaturalPad ont pu constater un certain désintérêt de la part des usagers et des équipes d’animation au fil des années. La faute notamment à des lacunes sur la motricité fine et l’absence de paramétrages pour s’adapter à l’utilisateur.
L’utilisation des casques en réalité virtuelle associée aux technologies de capture du mouvement ont également offert à la médecine un outil de pratique à certains gestes chirurgicaux. Grâce à ces dernières, un soignant peut s’entraîner à la pratique d’un geste avant de l’effectuer sur un patient. Ces techniques ont permis également de progresser dans le domaine de la téléchirurgie (l’action d’effectuer un acte chirurgicale à distance du patient). La discipline existe depuis le début des années 2000, le premier acte chirurgical à distance ayant été effectué en septembre 2001 (L’opération Lindbergh). Un patient hospitalisé à Strasbourg a reçu les soins d’une équipe américaine opérant à New-York. L’augmentation des débits internet, associés à l’essor des technologies sur les casques de réalité virtuelle et de capture de mouvements ont particulièrement contribué à démocratiser des pratiques relevant encore de l’exceptionnel il y a 20 ans.
Ces évolutions des matériels, mais également des mentalités vis -à -vis du jeu vidéo ont permis l’apparition cette dernière décennie de sociétés d’un genre nouveau. Formées au développement vidéoludique et se consacrant aux développements de titres dédiés au soin ou à la rééducation à l’instar de NaturalPad. La société néerlandaise GrendelGames, développe des titres serious, pour divers supports de jeux et s’est également implanté dans plusieurs centres de rééducation des Pays-Bas avec Gryphon Rider. Utilisant les technologies combinées du kinect et d’une planche à capteur de pressions, le patient contrôle un griffon qui se déplacera en fonction des mouvements de celui-ci. Les mouvements requis peuvent être paramétrés pour correspondre aux exercices nécessaires à la rééducation du patient. La solution MediMoov, développée par NaturalPad et implanté dans plus d’une centaine d’établissements, propose, entre autres, ce type de fonctionnalité.
L’utilisation des casques de réalité virtuelle, pour plonger l’utilisateur dans un environnement simulé est un concept vieux d’un demi siècle. Le potentiel scientifique à des fins thérapeutiques est important mais s’est toujours heurté jusqu’à présent aux énormes besoins technologiques nécessaires pour “tromper” le cerveau. Actuellement, les dispositifs existants sont encore difficiles d’utilisation et encombrants, mais les investissements récents et l’accroissement de l’offre grand public (notamment par des acteurs économiques majeurs comme Facebook ou Samsung) tendent à démocratiser l’usage de ce type de matériel. Les progrès récents sont spectaculaires et offrent un fort potentiel dans divers domaines comme l’ergothérapie, les maladies sociales ou une fois encore la rééducation fonctionnelle. La chaîne youtube Dirty Biology propose un intéressant résumé de l’évolution de ces technologies.
De par sa nature, l’évolution du jeu vidéo est intrinsèquement liée à celle des nouvelles technologies. Le motion gaming évolue donc naturellement lui aussi en fonction d’elle. Le sortie de la Wii en 2006 n’est pas liée à une révolution technique, mais son succès a eu de fortes répercussions d’un point de vue sociologique. Parallèlement à l’engouement du grand public, une génération entière d’étudiants, de chercheurs, de développeurs s’est mise à entrevoir le potentiel d’un concept pourtant issu des années 80. Cet impact générationnel continue encore de se faire ressentir à la fois dans les productions à destination du grand public, mais également dans les sujets de recherche développés et dans les outils à disposition du personnel soignant aujourd’hui.
Le niveau de maîtrise et l’évolution de certaines technologies liés au motion gaming comme l’utilisation des casques de réalité virtuelle confirme que ce phénomène ne s’arrêtera pas à la console de Nintendo et continuera encore d’évoluer.
Quelques liens pour aller plus loin :