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Désormais fort d’un passé de plus d’un demi siècle, le jeu vidéo peut désormais se targuer d’avoir derrière lui une véritable histoire. Cette histoire permet la mise en perspective des nombreux phénomènes de société qu’il a accompagnés ou même créé dans cet intervalle. Une étude de 2014 a tenté de mesurer l’évolution du médium en se penchant sur les études que la recherche a produit au fil des décennies : “The Benefits Of Playing Video Games”. Les intitulés desdites études traduisent les inquiétudes du grand public que le jeu vidéo a porté : obésité, désocialisation, insensibilisation à la violence réel, comportement agressif etc… A partir des années 2000, de nouvelles études font leur apparitions : la pratique du jeu vidéo augmente les aptitudes sociale, la coordination main-oeil, la gestion d’humeur, voir même plus loin la gestion de la violence.
Que ce soit du côté de la recherche ou des médias grand publics, le jeu vidéo a subi un traitement hostile qui a fini par s’estomper à mesure que les primo-utilisateurs vieillissaient et s’exprimaient. Deuxième élément contributeur du changement de la perception du jeu vidéo dans notre société : le jeu vidéo lui-même et ses utilisateurs. Le profil type du joueur des années 80 est un mâle, issu d’un milieu relativement aisé, familier avec cette nouvelle discipline qu’est l’informatique, socialement peu inséré et représente dans son environnement une minorité. Votre rédacteur est issu de cette génération, il me paraît important de le préciser sur des questions aussi subjective que la perception. Désormais jouable sans aucune compétence technique, disponible sur une plus grande variété de supports, connecté, le jeu vidéo a lui aussi bien évolué. Le profil type est devenu bien plus complexe à définir, certaines statistiques étant difficiles à obtenir notamment sur le jeu mobile. Si le médium n’est désormais plus exclusivement masculin, les premières décennies où le jeu était fait par des hommes pour des hommes a laissé des traces encore visibles aujourd’hui. Les attaques sexistes et l’homophobie encore trop présentes sur les communautés de jeu en ligne en sont la triste illustration.
Alexis Blanchet dans son ouvrage Des Pixels à Hollywood comparait les parcours économiques du cinéma et du jeu vidéo. L’ère dans lequel le jeu vidéo se trouve est comparable aux années 50-60 pour le cinéma : une assise économique forte permettant de se diffuser dans tous les foyers comme un loisir de masse via l’explosion de la télévision et des ouvertures de salles sur tous les territoires. Aujourd’hui, des milliers de jeux sont disponibles gratuitement en étant propriétaire d’un smartphone. Ceux qui sont plus investis se dirigent vers les consoles ou les ordinateurs.
Cette évolution des supports et des publics touchés, ont évidemment contribué à faire évoluer la perception du jeu vidéo aux yeux du grand public.
L’étude “Video Games – Myths and Benefits” montre que deux catégories de la population demeurent toujours peu réceptives à un discours prônant les vertus du jeu vidéo : les parents et les politiciens. L’étude étant rédigé aux Etats-Unis, les problématiques abordées sont des thématiques plus présentes (pour le moment) qu’en Europe. Selon un sondage réalisé en 2006, plus de 75% des parents américains considèrent le jeu vidéo comme le facteur premier de l’obésité de leurs enfants, loin devant la junk-food et le manque d’exercice. En opposition à ce postulat, une université californienne a entrepris un ambitieux programme de réductions du temps passé devant l’écran à destination des étudiants. Après un an de travail, les volontaires au programme ont réduit leur temps d’écran de 43% pour un résultat de…400 g perdus. Résultats peu probants au regard du changement concédés par les étudiants dans leurs habitudes de vie.
L’expression “temps écran” est apparue il y a moins d’une dizaine d’années pour définir la diversité des pratiques que la multiplication des supports a apporté. Cette diversité a même fini par perdre les parents ayant eux-mêmes connu le jeu vidéo durant leur enfance, tant celui-ci se pratique différemment qu’il y a deux décennies. L’abondance de la production sur tous supports, la toxicité des comportements en ligne, les modèles économiques délirants, les normes de classification, sont autant de facteurs susceptibles de perdre le parent désireux d’accompagner son enfant dans la pratique du jeu vidéo.
Si les parents ont une perception faussée du médium, elle a en partie été alimenté par les politiques qui, aux Etats-Unis, aiment encore à se servir du jeu vidéo comme d’un épouvantail.
« A travers ce pays, sur les canapés, devant la télévision et les consoles de jeu, un tueur silencieux appelé obésité traque la jeunesse américaine tel une épidémie »
Ron Widen, sénateur américain
Donald Trump s’est trop souvent servi du jeu vidéo comme origine des tueries de masses que le pays subit, mais il n’est certainement pas le premier.
Nous devons arrêter la glorification de la violence dans notre société. Cela inclut les horribles et macabres jeux vidéo, qui sont désormais monnaies courantes. C’est trop facile aujourd’hui de s’imprégner d’une culture qui célèbre la violence.
Donald Trump, président américain
La National Rifle Association, le puissant lobby américain qui autorise la vente d’armes libres dans tout le pays, utilise encore cette rhétorique lorsque ces derniers sont sous les feux des projecteurs après un nouveau massacre. Cet article résume bien la situation et montre que la diabolisation du jeu vidéo a encore de beaux jours devant elle. Notre pays ne subissant pas les mêmes problématiques, ce type d’argumentaire n’a pas vraiment cours en France.
Le jeu vidéo est passé en un demi-siècle de sale gosse du divertissement à la locomotive culturelle que toutes les autres jalousent. Au passage, il n’a pas su se débarrasser de toutes les casseroles qu’il véhiculait au siècle dernier, mais la population a appris à admettre que ce n’était pas si grave. Cependant le dialogue de sourd entre partisans et opposants, nous fait perdre de vue que de nouvelles problématiques sont apparues dans cet intervalle : le rapprochement avec les jeux d’argent. La mécanique de tirage au sort est un élément quasi systématique de la plupart des jeux actuels, gratuits ou non. Les problèmes de dépendances générés par les jeux d’argent sont réels. Les échanges entre mineurs et adultes sur les jeux en ligne sont un autre aspect encore non réglés actuellement.
Enfin, la question environnementale devenue incontournable doit être abordée urgemment. L’empreinte écologique du jeu vidéo au fil de sa montée en puissance est devenue critique. La multiplication des supports, et surtout la quantité phénoménale de serveurs nécessaire aux jeux connectés (c’est à dire presque la totalité des jeux actuels) devient problématique à une heure de “fin d’abondance”.
Je me permet de rajouter un dernier point sur un facteur autrefois déterminant de la perception du jeu vidéo : l’information de presse. La France en particulier a longtemps pu se vanter d’avoir une presse informatique, puis vidéoludique de qualité. Tilt, Joystick, Joypad sont autant de titre de presse qui ont su informer et transmettre une passion qu’on ne pouvait voir nulle part ailleurs. Aujourd’hui moribonde avec la crise de la presse papier, les acteurs de cet âge d’or journalistique ont été remplacés par d’autres vecteurs d’informations comme les influenceurs. Si ces derniers représentent un excellent moyen de découvrir un jeu, le droit de dire du mal de tel éditeur ou tel jeux est plus délicat, leur modèle économique étant fondé sur le partenariat avec les marques. La disparition du site Gamekult dans des conditions sordide après le rachat du groupe par Reworld (déjà responsable de la mort du magazine scientifique Science & Vie) est un clou de plus sur la tombe de cette presse que votre rédacteur adorait tant. JV le Mag et Canard PC, tout deux sous respirateurs artificiels à base de financement participatif sont les derniers représentants d’une façon de parler de sa passion tout en ne l’épargnant pas.