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Joystick, joypad, manette, paddle ou aujourd’hui, contrôleur, le périphérique de commande d’un jeu vidéo a connu autant de noms que de formes au fil des quatre dernières décennies. Objet de la folie créatrice des designers et enjeu économique majeur, son évolution a accompagné au fil des années les nouveaux marchés que le jeu vidéo a gagné progressivement. Chaque support de jeu, allant de l’arcade, au marché des consoles de jeu en passant par celui des ordinateurs personnels, a proposé différentes itérations à mettre entre les mains du joueur. 

Cependant, et même si de nouvelles formes de contrôles du jeu vidéo comme le motion gaming ont émergé, l’évolution des contrôleurs a convergé vers une standardisation salutaire aux problématiques de développement. Il est en effet bien plus facile de développer un jeu, surtout à destination de plusieurs supports, si les contrôles sont les mêmes d’une plateforme à l’autre. Mais cette évolution a également enfermé le joueur dans un schéma  de consommation de jeux vidéo à la fois plus exigeant sur le plan moteur et moins diversifié au niveau des expériences proposées.

Quels sont les éléments qui ont amené à cette uniformisation et quelles sont les possibilités pour sortir du schéma actuel? Avant de tenter d’y répondre un peu d’histoire…

Les années 80 et 90

Entre les jeux d’arcades, les consoles de salon et la démocratisation dans les foyers de la micro-informatique, le jeu vidéo avait plusieurs cordes à son arc pour toucher son public. Chacun de ces trois supports a proposé différentes approches de contrôler le jeu vidéo en fonction de leurs forces et faiblesses. Les bornes d’arcades japonaises étaient à cette époque très influentes sur la production vidéoludique. Du point de vue du contrôle des jeux, on peut distinguer deux grandes familles : les machines dites génériques et les dédiées. Ces dernières regroupent des expériences comme les titres Outrun, Afterburner ou bien Terminator 2. Volants, guidons, cabines d’avions, reproduction d’armes à feu ou de cannes à pêche, ces machines ont posé les bases de pratiques du jeu vidéo que l’on retrouve aujourd’hui sur d’autres supports, ainsi que dans le motion gaming comme nous l’avons évoqué dans un précédent article. Les bornes “génériques” quant à elles étaient destinées à accueillir plusieurs jeux en fonction des succès du moment. Après une courte période de tâtonnement, l’industrie nippone s’est mis d’accord sur un format de contrôle de ces machines : un stick court d’une dizaine de centimètres et six boutons d’un diamètre de 24mm (1 préhension, 1 ou 2 doigts). Le tout d’une robustesse à toute épreuve pour endurer le passage de milliers de joueurs à la délicatesse parfois relative. Ce type de contrôle est encore la norme sur le marché compétitif des jeux de combat comme Street Fighter.

En étant le premier acteur économique fort sur le marché du jeu vidéo, l’arcade japonais a été une grande force de proposition et d’innovations dans l’industrie. Les pratiques de contrôles inventées à l’époque sont encore à ce jour d’actualité. Cependant ce mode de consommation a perdu au fil des années son succès au détriment des machines domestiques. Les coûts de fabrications étant trop élevés et le public plus rare, la force de proposition de ce pan de l’industrie s’est également étiolée.

Si de nombreux acteurs économiques ont tenté de se faire une place sur le marché des consoles (Atari, Vectrex, Sega…), l’influence de Nintendo sur la première génération de machines domestiques est incontestable. Le succès de la machine NES en 1983 (Famicom au Japon), a naturellement imposé un mode de contrôle alors nouveau : le pad. Un petit rectangle gris tenu dans les deux mains avec une croix directionnelle sous le pouce gauche et deux boutons sous le pouce droit. Le gabarit de l’objet le destinait à être pratiqué par de jeunes enfants, alors cible principale du constructeur. Ce choix de design novateur, est une continuité de leurs précédents produits : les Game & Watch. Embryon du jeu vidéo nomade, apparu en 1980, ces écrans à cristaux liquides utilisaient les mêmes croix directionnelles et boutons que la console. Si l’objet est bien plus petit et simpliste en comparaison des contrôleurs modernes, le pad NES pose les bases d’une pratique du jeu vidéo, à deux mains tenu symétriquement (2 préhensions, 2 doigts).

L’escalade

A l’instar de l’escalade technologique que tous les fabricants vont mener pour rendre leur machine plus puissante, les périphériques de contrôle du jeu vidéo ne vont cesser de s’étoffer au fil des décennies suivantes. Lorsque Sega propose trois boutons (2 préhensions, 2 doigts) sur sa nouvelle console Megadrive en 1988, Nintendo répond alors avec quatre boutons sous le pouce droit, et ajoute deux nouveaux boutons appelés « gâchette », situés sur la tranche du pad, devant être actionnés par les index (2 préhensions, 4 doigts). Une nouvelle étape sera franchie avec l’arrivée de Sony sur le marché du jeu vidéo en 1994. La seconde version de son contrôleur, la Dual Shock introduit un nouvel élément de contrôle : les stick analogiques. Situés sous les 2 pouces (sans pour autant faire disparaître la croix directionnelle ou les autres boutons), ils permettent d’appréhender la nouvelle génération de jeux vidéo se déroulant désormais en trois dimensions avec plus de confort, comme par exemple le titre Tomb Raider. En ajoutant en plus deux nouvelles gâchettes sous les doigts principaux de l’utilisateur, la Dual Shock demande la maîtrise de 14 boutons et deux sticks orientables à 360° (2 préhensions, 6 doigts). Les choix de design et d’ergonomie de la Dual Shock en font un objet charnière de l’histoire des périphériques de jeu vidéo. Cependant, c’est l’arrivée du nouvel acteur sur le marché vidéo-ludique qui va sceller l’uniformisation de sa pratique et de sa façon d’être développée…

En parallèle aux marché des consoles, la pratique du jeu vidéo sur les ordinateurs personnels s’est vite concentrée sur les ordinateurs utilisant le système d’exploitation Windows de Microsoft dès le début des années 90. Avec une architecture ouverte aux périphériques développés par des tiers, les ordinateurs PC deviennent les plateformes les plus versatiles en termes de choix de contrôle, et par conséquent d’expériences. Les simulations les plus réalistes peuvent être pratiquées avec des volants ou des manches d’avions quasi identiques aux originaux. Le clavier quant à lui permet d’offrir des expériences narratives plus riches et permet aux genres de jeux “textuels” de s’épanouir. Le périphérique dominant, encore à ce jour, reste cependant la souris, qui associée au clavier offre de nombreuses possibilités en termes de vitesse de déplacement dans l’espace et de visée (1 préhension, 3 à 7 doigts). Avant 2005, l’usage des contrôleurs disponibles issu des consoles de salon est possible, mais au prix de configurations parfois rébarbatives.

Si l’arrivée de la troisième dimension influence la forme des nouveaux périphériques, elle influence également la production. Certains genres développés sur deux dimensions, tombent en désuétude, tandis que d’autres émergent, comme le jeu de tir à la première personne (FPS). Concernant ce dernier, si l’histoire retient plus facilement des titres comme Wolfenstein et Doom comme les premiers FPS grands publics, ce n’est qu’à l’apparition de titres comme Quake que le joueur pourra utiliser la souris et se déplacer en regardant à 360° autour de lui. Anecdote intéressante sur les jeux vues à la première personne, le premier titre permettant aux joueurs de se déplacer avec une souris, Marathon, fut développé pour les ordinateurs Macintosh par un studio existant toujours aujourd’hui : Bungie. Ces derniers créeront plus tard le titre Halo, considéré comme un des premiers jeux  en vue à la première personne praticable “correctement” avec contrôleur. Le jeu Halo, sorti en 2001 accompagnait le lancement d’une nouvelle machine sur le marché : la Xbox de Microsoft.

Le chaînon manquant

Acteur dominant de l’informatique depuis ses débuts, Microsoft ne pouvait rester insensible aux succès phénoménaux obtenus par Sony et Nintendo sur le marché des consoles de jeux. C’est pourquoi la firme de Redmond décide de sortir en 2001 sa machine de salon, la Xbox. La première mouture de la machine rencontrera un succès limité auprès du public, mais esquisse déjà les intentions du constructeur : une architecture plus proche d’un ordinateur, la possibilité de jouer en ligne via internet, et la promesse d’utiliser ses jeux sur plusieurs plateformes. Du côté du contrôleur, Microsoft suit la norme imposée par Sony quelques années plus tôt avec le Dual Shock : 2 sticks analogiques, une croix directionnelle et 11 boutons (2 préhensions, 6 doigts). Destiné au public américain, le contrôleur initial était d’un volume inhabituel par rapport à ses concurrents et doté d’une connectique propriétaire (on ne pouvait brancher la manette sur une autre machine). Mais lorsque Microsoft sort en 2005 la remplaçante de la Xbox, la Xbox 360, le constructeur choisit cette fois de proposer son contrôleur avec une connectique universelle (l’USB), afin de pouvoir la brancher également sur un ordinateur. Ce choix de production, à première vue anecdotique, aura une influence capitale dans la production de jeux vidéo. 

En cette année 2005, le marché vidéoludique se présente ainsi : les consoles de salon sont désormais les locomotives d’un secteur devenu la première économie culturelle mondiale. Le marché du jeu sur téléphone mobile est en pleine émergence mais laisse encore une place conséquente pour les consoles nomades. S’il génère un volume financier moins important que les consoles de salon, le marché du jeu vidéo sur PC reste dynamique avec une offre croissante du secteur dématérialisé. Dans ce contexte, le choix de développer son titre sur plusieurs plateformes (et donc plusieurs modes de contrôle) peut s’avérer coûteux tout en étendant les délais de production. Mais en proposant un contrôleur capable d’être branché à la fois sur console et ordinateur, Microsoft va profondément influencer le processus de production des jeux vidéo. En effet, les développeurs ne vont plus choisir la plateforme sur laquelle ils vont développer leur jeu, mais le contrôleur qui l’utilisera. Et quel contrôleur choisir, si ce n’est celui reconnu par 2 plateformes, et en tout point similaire à celui disponible sur une troisième? Le développement du jeu vidéo en sera changé à jamais.

En axant leur développement sur ce contrôleur unique, les éditeurs voient le potentiel financier de leur production grimper et certains genres, jusque-là réservés à certaines chapelles, s’invitent sur de nouvelles plateformes. 

Bien sur, ce modèle unique n’a pas fait disparaître les autres formes de contrôle du jeu vidéo. Le désir du joueur de personnaliser son expérience et la force de proposition des fabricants de périphériques obligent les éditeurs à répondre à cette demande toujours présente. Les amateurs de simulation aérienne comme Flight Simulator n’envisagent leur expérience qu’avec une reproduction de manche d’avion et un palonnier. Une partie des joueurs de Formula 1, titre explicite s’il en est, ne trouvera son plaisir qu’en jouant avec une encombrante installation de volants, pédales et autres boîtiers de vitesses. D’autres joueurs en ligne ne peuvent concevoir d’explorer les terres de World of Warcraft sans une souris dotée de 10 boutons. Les stratèges de Civilisation également, etc…

Mais dans l’état actuel de la production vidéoludique, ces titres, ainsi qu’une immense majorité  du contenu disponible sur les plateformes de ventes en ligne n’ont qu’un seul point commun, ils sont jouables avec le contrôleur Microsoft.

Du point de vue de l’accessibilité, le développement de jeux vidéo grand public, pour les raisons économiques que nous venons d’évoquer, est figé depuis 2 générations de machines autour de ce modèle de contrôleur, pour rappel, sollicitant deux préhensions et l’usage simultané de 6 doigts. En plus d’être une porte d’accès beaucoup plus difficile à franchir pour les débutants, chaque nouveau bouton, chaque partie de la main nouvellement sollicitée a exclu un nombre croissant de personnes en situation de handicap. 

L’Adaptive Controller sorti en 2018, évoqué dans un précédent article, fait partie des éléments de réponses. En déportant l’intégralité des boutons et des sticks du contrôleur “traditionnel”, l’appareil permet de trouver des alternatives personnalisées, en fonction des capacités motrices de chacun. Il permet d’être une réponse à la pratique du jeu moderne désormais enfermé dans le schéma 10 boutons, 2 sticks, une croix directionnelle.

Si nous avons évoqué ici le marché des deux consoles de salons dominantes et des ordinateurs, la pratique du jeu vidéo ne se limite pas à celui-ci. La place du marché mobile, avec des jeux tactiles au contrôle très simplifié, ou du géant Nintendo est au moins d’importance similaire. Derrière le succès de la console Nintendo Wii, plusieurs produits ont fait leur apparition sur le marché grand public tendant à se rapprocher du concept d’interface utilisateur naturelle, tel que défini par Steve Mann (voir encadré) dans les années 90. Kinect, Tobii Eye Tracker, TrackIR entre autres, ont la volonté de redonner un contrôle d’interface plus intuitif aux joueurs.

L’Interface Utilisateur Naturelle

Concept développé dans les années 90 par Steve Mann, chercheur canadien, l’interface utilisateur naturelle se veut être accessible et efficace, qu’elle soit pratiquée par un utilisateur débutant ou chevronné. La compréhension et l’utilisation d’une telle interface doit se faire “naturellement”, c’est -à -dire sans phase d’apprentissage ni l’aide d’une quelconque documentation. La seule pratique doit suffire à l’utilisateur pour comprendre instinctivement ses fonctionnalités. Le nom de notre société NATURALPAD est une référence à ce concept et à notre volonté de proposer des interfaces praticables et utilisables par le plus grand nombre.

Cependant, comme nous venons de le voir, l’influence du matériel sur le logiciel influe sur le type de jeux que nous consommons et complexifier le périphérique de commandes au fil des années a rendu les expériences de jeux plus riches mais également plus exclusives.

A l’instar de la norme PEGI créée en France en 2003 pour classifier (maladroitement) les jeux par âge en fonction des critères entre autres de violence, grossièreté ou de nudité, une classification indiquant le nombre de boutons utilisés ou les membres requis pourrait informer le consommateur de la faisabilité du titre.

Si la forte croissance et la présence de plusieurs acteurs concurrents ont mené à la situation actuelle, l’économie du jeu vidéo est en mutation perpétuelle. La dématérialisation des supports pourrait entraîner dans les années à venir la disparition des consoles de jeu tel que nous les connaissons et donner naissance à de nouveaux dispositifs connectés. Les sociétés Google et Nvidia par exemple tentent actuellement de créer de nouveaux modèles de consommations grâce à l’augmentation des débits internet. Ces acteurs, ou d’autres, pourraient influencer les choix ergonomiques à venir sur les contrôleurs du futur. Cependant à l’instar de la question de l’accessibilité, ces changements passent par un dialogue encore trop rare entre fabricants de machines, éditeurs de jeux, et la tranche de consommateurs exclus par les systèmes en place. Ce dialogue semble d’autant plus difficile à mettre en place en cette période où la santé financière du jeu vidéo est rayonnante.